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Guide Michelin vs San Pellegrino : deux visions de la gastronomie
Analyse technique des différences entre le Guide Michelin et le classement San Pellegrino The World's 50 Best Restaurants.
Une confrontation de standards gastronomiques
Le Guide Michelin et le classement San Pellegrino The World's 50 Best Restaurants partagent un objectif commun : évaluer et hiérarchiser les meilleurs restaurants du monde. Pourtant, leurs approches, leurs critères et leurs influences sont radicalement distincts. L’un s’ancre dans une tradition d’anonymat rigoureux, l’autre repose sur un vote international d’initiés. Ce qui en résulte n’est pas qu’un simple écart de méthodologie, mais une divergence fondamentale dans la manière d’envisager les meilleurs chefs du monde, la cuisine de haut niveau et la légitimité de ce qui fait un grand restaurant.
Depuis plus d’un siècle, le Guide Michelin construit un système d’évaluation basé sur une hiérarchie d’étoiles attribuées selon des critères standardisés et appliqués mondialement. San Pellegrino, apparu au début des années 2000, privilégie l’émotion, la créativité et la subjectivité assumée de ses votants. Là où Michelin impose une norme stable, San Pellegrino reflète une tendance globale et mouvante, alimentée par les réseaux sociaux, les chefs-star et les récits autour des cuisines du monde.
Ces différences ont un impact direct sur la visibilité des établissements, leur clientèle, leurs prix, et sur la manière dont ils sont perçus par le secteur et le grand public. Comprendre les deux systèmes, c’est donc comprendre les ressorts actuels de la reconnaissance gastronomique internationale.
Le système d’évaluation du Guide Michelin
Le Guide Michelin repose sur une méthode centralisée, anonyme et fondée sur une grille de critères stables. Créé en 1900 pour accompagner les automobilistes, il est devenu, depuis les années 1930, la référence mondiale de l’évaluation des restaurants. Aujourd’hui, il est publié dans plus de 25 pays, avec des éditions nationales (France, Japon, États-Unis, etc.).
Les inspecteurs Michelin sont salariés, formés pendant plusieurs mois, et se déplacent incognito pour juger cinq critères principaux : qualité des produits, maîtrise des cuissons et des saveurs, personnalité du chef dans sa cuisine, régularité dans le temps et rapport qualité-prix. Ces visites sont répétées chaque année, permettant un suivi à long terme.
L’attribution des étoiles suit une logique hiérarchique :
* *1 étoile* signale une cuisine de qualité dans sa catégorie ;
* *2 étoiles* désignent une table qui mérite un détour ;
* *3 étoiles* qualifient un restaurant qui vaut le voyage.
L’obtention de trois étoiles est rare : seuls 142 restaurants dans le monde étaient triplement étoilés en 2024. En France, environ 30 établissements détiennent ce niveau.
Le système Michelin impose une rigueur constante. Un restaurant peut perdre ses étoiles sans explication publique. Le chef Marc Veyrat, par exemple, a quitté le système après avoir perdu une étoile, dénonçant un manque de transparence.
Les restaurants étoilés ajustent leurs prix en conséquence. Un menu dégustation 3 étoiles dépasse souvent 350 € (environ 300 £ / 380 \$), avec des pointes jusqu’à 600 € (520 £ / 650 \$) dans les maisons comme *Guy Savoy* ou *Yannick Alléno*.
Michelin garde la main sur l’ensemble du processus, ce qui en fait un outil cohérent mais aussi parfois critiqué pour son opacité, sa lenteur à s’adapter aux tendances ou son conservatisme face aux cuisines émergentes.
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Le classement San Pellegrino et son modèle de vote
Le classement San Pellegrino The World's 50 Best Restaurants, lancé en 2002 par la revue britannique *Restaurant Magazine*, s’est imposé comme une alternative médiatique et internationale au Guide Michelin. Il ne s’agit pas d’un guide à proprement parler, mais d’un palmarès annuel, fortement relayé dans les médias et largement commenté dans le milieu de la restauration.
Ce classement repose sur le vote de 1 080 membres d’un panel mondial, l’Academy of the 50 Best, répartis en 27 régions. Chaque région regroupe 40 votants : chefs, restaurateurs, critiques culinaires, foodies reconnus. Le vote est personnel, confidentiel et basé sur leurs expériences des 18 derniers mois. Chaque votant doit sélectionner 10 restaurants (dont au moins 3 hors de sa région).
Aucune visite anonyme, aucun critère fixe, aucun contrôle du rapport qualité/prix. Le classement est fondé sur l’émotion, la mémoire, la notoriété. Il reflète les tendances, les phénomènes sociaux, les récits autour des chefs. Des cuisines innovantes, déstructurées ou locales y gagnent une place sans passer par les standards classiques de la haute gastronomie.
Ainsi, des établissements comme Central (Lima), Disfrutar (Barcelone) ou Maido (Lima) ont dominé les classements récents, souvent absents ou moins mis en avant par le Guide Michelin. Le meilleur restaurant du monde 2023, *Central*, n’a jamais eu 3 étoiles Michelin.
Les chefs promus par San Pellegrino deviennent souvent des icônes internationales, très visibles sur Instagram, Netflix ou dans les festivals gastronomiques. Cela influence fortement le tourisme culinaire. Les restaurants figurant dans le Top 10 voient leur liste d’attente exploser, et leurs prix s’alignent rapidement sur ceux des 3 étoiles Michelin : entre 250 € et 450 € (215 £ à 385 £ / 275 \$ à 500 \$) le menu.
San Pellegrino favorise donc une approche plus libre, plus émotionnelle, mais aussi plus instable. Certains chefs y apparaissent quelques années, puis disparaissent sans raison apparente. Ce manque de continuité suscite des critiques dans le monde professionnel.
Des logiques opposées, des effets différents
Les deux systèmes n’ont pas la même finalité. Le Guide Michelin vise à construire un jugement professionnel, régulier, et indépendant du bruit médiatique. Le classement San Pellegrino, lui, reflète des dynamiques culturelles, sociales et parfois commerciales. Cela se voit dans la composition des listes.
Michelin reste fortement concentré sur l’Europe et le Japon, avec une reconnaissance plus faible des cuisines sud-américaines ou africaines. À l’inverse, San Pellegrino donne une visibilité aux scènes émergentes : Pujol à Mexico, Fyn au Cap ou Atomix à New York y trouvent une place bien plus vite que dans les guides traditionnels.
Sur le plan économique, Michelin influence fortement la durabilité d’un restaurant. L’obtention ou la perte d’étoiles se traduit par des conséquences directes sur la fréquentation, le personnel et la stratégie commerciale. Chez San Pellegrino, l’impact est plus médiatique et ponctuel, mais parfois plus fort en termes de communication mondiale.
Les critiques des deux systèmes sont différentes. Michelin est souvent taxé d’élitisme, de lenteur, de conservatisme. San Pellegrino, à l’inverse, est critiqué pour son opacité, son biais anglo-saxon, et sa tendance à privilégier les cuisines "à effet".
Les meilleurs restaurants du monde, selon l’un ou l’autre classement, ne sont donc pas forcément les mêmes. Un établissement comme Arpège (Paris) est triplement étoilé depuis des années, mais rarement dans le top 50 de San Pellegrino. À l’inverse, Odette (Singapour), très bien classé dans ce dernier, ne dépasse pas 2 étoiles Michelin.
Une influence différenciée sur la gastronomie mondiale
Le Guide Michelin façonne encore aujourd’hui la structure de la haute cuisine, en imposant des standards, en formant des chefs et en orientant les écoles hôtelières. Son système a aussi des effets sur l’organisation du travail en cuisine, les modèles économiques des maisons, et la pérennité des établissements.
Le classement San Pellegrino, lui, joue davantage le rôle d’accélérateur de notoriété. Il permet à des cuisines peu représentées d’émerger rapidement, à des jeunes chefs d’être repérés mondialement, et à des pays comme le Pérou, la Thaïlande ou la Corée du Sud de se positionner comme nouvelles scènes gastronomiques sans passer par les fourneaux européens.
Les deux logiques cohabitent, souvent de manière conflictuelle. Certains chefs, comme René Redzepi (Noma), ont choisi de se désengager des classements traditionnels pour se concentrer sur d’autres formes de reconnaissance. D’autres, comme Anne-Sophie Pic ou Éric Frechon, continuent à s’inscrire pleinement dans le système Michelin.
Il ne s’agit donc pas de choisir entre les deux. Mais de comprendre que le classement des meilleurs restaurants ne repose plus sur un seul modèle. La coexistence des deux approches reflète les tensions actuelles entre expertise, émotion, tradition, innovation, visibilité et crédibilité.
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